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Hyacinthe Rigaud (1659-1743) Portrait de femme ou présumé de Charlotte Raisin de La Jonchère Huile sur toile (rentoilé)
Hyacinthe Rigaud (1659-1743) Portrait de femme ou présumé de Charlotte Raisin de La Jonchère Huile sur toile (rentoilé) H. 141 ; L. 99,5 cm Collection particulière Au dos, plusieurs étiquettes : Sur le châssis : « HARO ET FILS EXPERTS / Restaurateurs de Tableaux / Ministère des travaux Publics de la Ville de Paris / Direction des ventes publiques / Editeurs d’Estampes et Publications Artistiques de la Ville de Paris / 20 rue Bonaparte / Galeries de tableaux Anciens et Modernes, Ateliers / 14 rue Visconti » Sur la bordure (répétée deux fois) : « Tardif / 9 rue du 29 juillet / Bois sculpté, dorure / Encadrements Artistiques / [Manuscrit] : Médaille d’or à l’exposition universelle 1889 » Sur la bordure en bas, un cartouche : « Largillière » Historique : Peint vers 1719-1721 ; collection Mathieu Alfred Lacaze (1846-1922) ; par descendance, collection particulière. Experts : Stephan Perreau, Cabinet Turquin Bibliographie : Roman, 1919, p. 187 [localisation inconnue], 191, 192, 197 ; Perreau, 2013, cat. *P.1272, p. 257 [localisation inconnue] ; James-Sarazin, 2016, II, cat. *P.1341, p. 456 [localisation inconnue] ; http://hyacinthe-rigaud.com/catalogue-raisonne-hyacinthe-rigaud/portraits/871-raisin-charlotte-de (mise à jour juillet 2020). Malgré l’ancien cartouche apposé sur le cadre de ce portrait de femme qui en faisait une œuvre de Nicolas de Largillierre (1646-1746), on peut aujourd’hui rendre la composition à son confrère Hyacinthe Rigaud. On y retrouve en effet un grand nombre d’éléments du vocabulaire du Catalan, de l’ordonnance générale de la scène (position du corps, éléments de décor) à la qualité des textures. Les virtuoses effets de tissus s’ajoutent au fameux fini des carnations, avec un savant travail dans les ombres qui font indéniablement de l’œuvre présentée, un portrait autographe de cet artiste. L’image n’était pas inconnue. En 2010 en effet, une copie conforme du présent portrait, d’une exécution plus plate mais non sans mérites, avait réapparu sur le marché de l’art. En l’examinant de près, nous avions conclu à une production de l’atelier d’après un original bien plus qualitatif qu’il restait à découvrir . Le tableau de l’ancienne collection Lacaze, par sa qualité, constitue selon nous cet original. Descriptif : L’effigie représente une jeune femme, âgée environ de 25 ou 30 ans, cadrée jusqu’aux genoux, assise dans un large fauteuil aux accotoirs nervurés garnis de feuilles d’acanthes, récurrent dans les portraits de grand format de Rigaud dans les années 1710-1730. Le dossier, mouvementé et sculpté, est garni d’un velours rouge damassé de motifs de feuillages et de fleurs. Un grand rideau de fond, avec son revers de soie aux reflets changeants, vient meubler l’arrière de la composition et se déposer sur le fronton du dossier. Le modèle, porte une « robe volante » de velours et se tient assise face au spectateur. Le corps suit une légère courbe serpentine allant des genoux écartés, à droite, au buste tourné vers la gauche, pour revenir à la tête, délicatement penchée. Cette ondulation se retrouve chez l’artiste dans de nombreux portraits de personnages en pied des années 1710-1720. On citera principalement celui de la comtesse de Selles travestie en Cérès (1712, collection privée) ou celui de la princesse Palatine (1713, Berlin, Deutsches Historisches Museum. Inv. GM 96/37) avec lequel notre portrait partage bien d’autres éléments. L’un d’eux est la position de la main gauche, repliée sur la poitrine ; main que l’on retrouve aussi dans quelques effigies masculines à l’instar de celle du financier Gérard Michel (1721, Château de Parentignat), du marquis d’Herbault (1723, collection privée) et, surtout, de celle présumée de la comtesse de Platten (1724, connue par un dessin conservé à la Graphische Sammlung Albertina de Vienne). Dans cette dernière, ainsi que dans le portrait de la princesse Palatine, la main tient délicatement un voile, qui, dans le cas présent, est fait d’une fine mousseline à décors de bandes à trois liserés, bleu-vert et d’or. L’étoffe, évanescente, voulu par Rigaud d’une extrême transparence, entoure tout le bas des épaules avant de ressortir sur la gauche et de se déposer sur le bras droit et le genou. Elle laisse naturellement entrevoir tous les éléments devant lesquels elle se superpose (fauteuil, velours, plis), forçant de fait l’admiration tant les reprises de motifs décorés épousent avec un extrême réalisme chaque inflexion du tissu, qu’il soit dans l’ombre ou semi-éclairé. L’avant bras droit et sa main, aux longs doigts longilignes, l’une des marques de fabrique de l’art de Rigaud, s’appuient tous deux sur l’accotoir du fauteuil en un geste lascif. Comme à son habitude, l’artiste aime à souligner les reflets de la lumière, comme avec cette délicate touche de blanc, apposée sur l’ongle du pouce qu’elle fait briller. Dans la gorge de la robe, entre deux boutons, apparait le froissé d’une chemise de coton à fines côtes (que l’on retrouve dans les engageantes des coudes, à droite) ainsi que le haut d’un corset de damas d’argent brodé de rinceaux rouges fleuris. La perruque est ce qu’on appelle déjà une « perruque bouton » caractéristique des années 1720, avec son réseau de boucles très ramassées sur le crane et ses deux cruches (ou boucles), retombent sur les tempes de part et d’autre du front. Une longue mèche, unique, suit l’incurvé du cou pour se déposer sur une épaule. L’atmosphère générale, soulignant l’intimité du modèle dans un intérieur, est renforcée par un subtil jeu entre la lumière crue, venant de la droite, et les ombres profondes qu’elle créée, à son opposé, sur les tissus et les chairs. La reprise de l’éclairage, derrière le cou du modèle, souligne ainsi la courbe naturelle du corps tandis qu’une partie du décorum semble s’effacer à droite au profit des bras et des mains, berceaux de l’expression baroque de la pose. Les traits du visage, sans commune mesure avec la version passée en vente en 2010, illustrent le célèbre « beau fini » qui caractérisait Rigaud dans le travail des textures et l’extrême rigueur de son dessin. Le regard, d’une grande poésie, semble s’illuminer grâce à l’humeur blanche déposée sur la paupière inférieure de chaque œil. Le modèle : Le style de la perruque permet donc de dater raisonnablement l’œuvre autour des années 1720. Sachant que Rigaud demandait alors autour de 1500 livres pour une composition originale, jusqu’aux genoux et avec la représentation des mains , peu de candidates inscrites dans les livres de comptes de l’artiste semblent pouvoir correspondre et ce, même si l’on sait cette comptabilité parfois oublieuse . Parmi les grands formats produits dans ces années (et en tenant compte de l’âge apparent du personnage dans un habillement original) , un nom remporte cependant l’adhésion. Avec les réserves d’usage sur la provenance plus ancienne du portrait, nous pourrions être en présence de l’effigie de Charlotte Raisin (1692-1757), dame de La Jonchère. La jeune femme n’avait pas encore atteint la trentaine lorsqu’elle commanda en 1719 son portrait à Rigaud contre la somme conséquente de 1500 livres . Ce même montant se trouva repporté une seconde fois en 1721, faisant penser un temps qu’elle avait pu commander deux effigies successives . En réalité, comme c’est par fois le cas dans les comptes de l’artiste, la première occurrence correspond probablement à la commande, et la seconde au paiement effectif. Née le 6 février 1692, Charlotte Raisin, était la fille de Jean-Baptiste Siret dit « Raisin cadet » (1656-1693), comédien à l’Hôtel de Bourgogne et au théâtre Guénégaud. Sa mère, Fanchon Lonchamps (v.1662-1721), dite Françoise Pitel ou « Mademoiselle Raisin », fut également une comédienne de mérite mais acquit une notoriété supplémentaire pour avoir été l’une des nombreuses maîtresses du Grand Dauphin, fils de Louis XIV. Si La Raisin eut effectivement avec le prince une fille Anne-Louise Pitel, dite « Mademoiselle de Fleury » (v.1694-1716) , Charlotte était en réalité déjà née lorsque sa mère, veuve de Raisin cadet, fréquenta le Grand Dauphin. Le 17 août 1707, Charlotte épousa par contrat, devant Louis Doyen, notaire à Paris , Gérard Michel (1673-1750), seigneur de La Jonchère, de Roissy et de Vaucresson, célèbre trésorier de l’ordinaire puis de l’extraordinaire des guerres (1711). Quelques années plus tard, en 1721, et alors qu’elle payait enfin Rigaud pour son portrait entamé trois ans plus tôt, son mari sollicitera lui aussi l’artiste pour une effigie tout en ostentation, en grand habit de trésorier des gendarmes et de l’Ordre royal de Saint-Louis, charge qu’il détenait depuis 1704 . L’œuvre partage d’ailleurs bien des similitudes avec le portrait présumé de son épouse, ne serait-ce qu’à cause de son ambition et d’une main gauche « à la mode », elle aussi repliée sur la poitrine. En réceptionnant son portrait, Michel de La Jonchère en profitera pour payer 300 livres à Rigaud pour copie de celui de sa femme (peut-être la version de 2010 ?) tandis qu’une réplique en buste était également produite par l’atelier , sans doute celle qui fut payée l’année suivante à l’aide Charles Sevin de La Penaye . En 1723, le même artiste reçevait enfin 50 livres pour pour « un autre buste de même [l’habillement] de M[a]d[am]e de la Jonchère » . Séparée quant aux bien de son mari, la nouvelle Madame de La Jonchère préféra la vie parisienne à celle des terres de La Malmaison que son époux avait louée depuis 1737. Elle transféra d’ailleurs le bail dès 1756 à l’héritier particulier de son défunt mari, le conseiller d’État, Jean de Boulogne . Elle meurt à son tour dans la capitale, le 18 avril 1757 . Nous remercions particulièrement Stephan Perreau pour la rédaction de cette fiche et la découverte de ce tableau.